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#Addiction 1 : aux origines

  • Alexandre Constant
  • 18 sept. 2021
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 2 nov. 2021


Pause synchronisée… Nous sommes trois psys de l'institution, en pause au même moment, lorsqu’une collègue m’interpelle : « Alexandre, addiction c’est bien un anglicisme ? » Ouch…

À sa décharge, il n’est pas rare que des mots d’origine latine aient été abandonnés puis réintroduits via la langue anglaise (nous le verrons avec la relaxation). Ainsi, avant d'aller plus loin dans tout ce qui concerne les addictions, je vous propose de retourner à l'origine du mot car l’étymologie n’est pas ici une simple fantaisie intellectuelle et permet d’apporter un éclairage intéressant. Donc direction la bibliothèque !




Addicere et addictio sont des termes de droit romain (d'où l'affiche de ce post représentant la loi des douzes tables, premier corpus de lois romaines écrites). En l’absence du remboursement d’une dette, c’est la personne même du débiteur qui est adjugée au créancier. Le débiteur devient donc esclave pour dette, autrement addictus[1]. Nous retrouvons alors trois points caractéristiques des addictions.


Tout d’abord, la personne en situation de débiteur est contrainte par son corps, cette contrainte pouvant aller jusqu’au morcellement. « On peut même, aux termes de l’antique Loi des XII Tables prise à la lettre, le couper en morceaux s’il y a plusieurs créanciers.[2] » L’implication corporelle de la dépendance, la fameuse contrainte par corps, trouve ici son origine étymologique. Son expression radicale pourrait se retrouver dans le syndrome de sevrage ou le craving. L'addiction vient effectivement comme l'une des nombreuses manifestations des liens entre corps et psyché. De l'envie à la compulsion en passant par le manque et le plaisir, les addictions en appellent aux profondeurs du corps. Ce corps et ces vécus que la personne parait parfois vivre comme "à coté", spectatrice, voire victime, de ces agirs, s'observant retourner sur les mêmes plans, dans la même épicerie, appeler le même numéro de téléphone, taper la même adresse internet, etc. Si l'addiction est originairement liée à la dette et à la mise en esclavage, c'est aussi dans le rapport du sujet à son corps que ces éléments s'expriment. C'est également dans ce champ que peuvent parfois s'entendre les thèmes du supplices. Discours de Prométhée, payant le prix du comportement pour avoir fauté. Les questions qui restent alors en suspens pouvant être : quelle faute, face à quelle loi et pourquoi une telle implication corporelle ?


De surcroit, ad-dicere renvoie en latin à « montrer ou faire connaitre par la parole, dire[3] ». Il y aurait donc quelque chose de la personne qui serait dit par son comportement, que son comportement exprimerait. Selon le courant psychologique auquel on se réfère, le comportement pourra venir dire, ou montrer, qu’il y a là un trouble des apprentissages, un trouble neurobiologique, un symptôme à entendre d’un point de vue familiale et systémique, etc. Tous ces points de vue sont, une fois n'est pas coutume, complémentaires et aucun ne peut se prétendre comme exclusive réponse. Quoiqu’il en soit, le comportement vient parler de quelque chose qui échappe au sujet et qu’il acte à son corps défendant.


Enfin, il peut être intéressant de souligner la présence de la notion de dette au cœur même de l’histoire de l’addictus car, effectivement, dette il y a bien souvent. Dette réelle ou symbolique, avec la culpabilité pour corollaire, mais également dette à entendre comme perte. Perte d’argent, parfois, de temps, souvent, angoisse de perte et insécurité dans le lien d’une façon quasi-systématique. Si elle n’est pas nécessairement à l’origine du comportement, l’insécurité dans le lien peut survenir face aux réponses de l’environnement, aux reproches et déceptions exprimés, ou supposés, en raison des tentatives d’arrêt infructueuses (les dites « rechutes » qui font pourtant parties du processus de rétablissement), des incarcérations, des stratégies mises en place pour trouver le temps et l’argent, etc.


Ainsi, au-delà de la fameuse contrainte par corps, l’addiction nous parle de dettes et de liens, autant des liens corps-psyché que des liens de la personne à son environnement et aux autre. Si j’ai jugé intéressant de revenir sur ce point c’est, d’une part, pour réinscrire l’origine du mot (car, non, tout n’est pas anglicisme). D’autre part, nous voyons comment l’étymologie peut apporter un éclairage intéressant sur les difficultés que l’on peut rencontrer dans la pratique des psychothérapies à médiations corporelles. Combien de patient.e.s ou de collègues ai-je entendu.e.s exprimer des remarques similaires : l’impression que rien ne s’inscrit, que la relaxation ou la méditation ca ne marche pas, etc. Mais gardons tout ça pour un nouveau post où nous verrons les lien entre étymologie, addiction et psychothérapie à médiation corporelle car, non, tout n'est pas "dans la tête" !


En attendant "tek-care" et à très bientôt !

[1] Elément intéressant, on retrouve la présence du personnage de l’addictus dans la littérature latine, dès le 2ème siècle av JC, dans la pièce de Plaute Les Bacchis (en référence aux bacchanales de Bacchus, dieu de la vigne, du vin, de l’ivresse et des festivités, équivalent romain du Dyonisos grec). [2] Jean-yves GUILLAUMIN, "Addiction, Addictus et Addictio", in Dépendances, 2014, no 51, p24 [3] ibid

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